La situation des droits de l’Homme en Turquie ( Janvier – May 2025)

Introduction

Au premier semestre de l’année 2025, la situation des droits humains en Turquie continue de susciter une vive inquiétude au sein de la communauté internationale. Malgré l’existence d’un cadre constitutionnel garantissant les libertés fondamentales, les autorités turques ont multiplié les mesures restrictives contre la liberté d’expression, la liberté de la presse, les droits de réunion et d’association, ainsi que contre les opposants politiques. Dans un contexte marqué par l’arrestation du maire d’Istanbul et une répression accrue des mouvements de contestation, le pouvoir exécutif semble recourir de manière systématique aux outils juridiques et policiers pour étouffer toute forme de dissidence.

Ce rapport vise à dresser un état des lieux documenté de la situation des droits fondamentaux en Turquie durant les premiers mois de l’année 2025. À travers l’analyse de sources fiables, il met en lumière les atteintes répétées à la liberté de la presse, les restrictions imposées à la société civile, les cas de détentions arbitraires, ainsi que les violences policières exercées dans le cadre des manifestations. Il accorde également une attention particulière à la situation des journalistes, des femmes, et des minorités, souvent premières cibles de cette dérive autoritaire.

Dans un contexte où les aspirations démocratiques sont de plus en plus étouffées, ce rapport entend contribuer à la reconnaissance des violations persistantes et à la mobilisation en faveur du respect des droits humains en Turquie.

 

Libertés d’expression et médias

La situation en matière de liberté d’expression en Turquie reste très préoccupante début 2025. Le gouvernement exerce un contrôle serré sur les médias traditionnels : la radio-télévision publique (TRT) et l’agence Anadolu diffusent les dépêches officielles, et la quasi-totalité des chaînes de télévision et de la presse écrite sont alignées sur l’exécutif (1). Les médias indépendants, souvent de petite taille, survivent principalement en ligne. Les autorités utilisent fréquemment la loi sur Internet (n°5651) pour bloquer des sites et censurer les contenus critiques. Selon l’ONG EngelliWeb, plus d’un million de sites Web ont ainsi été bloqués en Turquie depuis 2007 (2). Cette censure internet s’est poursuivie en 2025 : par exemple, les forces de l’ordre ont brièvement suspendu Instagram pour huit jours en août 2024 dans le contexte des tensions au Moyen-Orient (3).

De même, les autorités restreignent l’accès aux contenus médiatiques : le Conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTÜK), le régulateur audiovisuel, a multiplié les sanctions. Fin février 2025, RTÜK a infligé au moins six amendes administratives à des chaînes de télévision, suspendu temporairement des programmes critiques et même censuré des affiches de films (annulation d’une projection de Yarasaların İstilası, interdiction du film Oy’una Geldik pour « non-conformité légale ») (4). L’instance menace régulièrement de retirer la licence de tout média qui « n’émettrait pas dans le sens politique souhaité ». Au total, la charge des décisions de justice et sanctions administratives sur les médias augmente sensiblement, traduisant une forme de censure systématique des voix dissidentes (4)(1).

Par ailleurs, les journalistes critiques continuent d’être visés par des poursuites judiciaires. Pendant le premier trimestre 2025, les tribunaux ont ouvert plus de 55 enquêtes contre des journalistes, chroniqueurs ou reporters, un nombre inédit sur trois mois, qui démontre la « surveillance étroite » exercée sur la presse indépendante par la justice (4). Beaucoup sont accusés d’« atteinte à l’ordre public » ou d’« incitation à la haine » sans preuve solide, en particulier sous l’accusation vague de terrorisme pour ceux qui critiquent le pouvoir. Par exemple, 7 responsables locaux du syndicat de journalistes DİSK-Basin-Is ont rapporté avoir été arrêtés à leur domicile le 24 mars au soir et inculpés de « violation de la loi sur les réunions et manifestations », avant d’être libérés sous contrôle judiciaire deux jours plus tard (5)(4). Ces arrestations massives de journalistes autour des manifestations de fin mars ont été dénoncées comme un « attentat contre la liberté de la presse » par les syndicats.

Des études indépendantes confirment la pression croissante : le BIA Media Monitoring Report (janv.-mars 2025) note que de nombreux journalistes ont été harcelés par la justice comme par des procédures administratives. Sur cette période, plusieurs journalistes influents poursuivis pour leur travail ont été acquittés après des années de détention (cas de reporters de Sözcü, Halk TV, etc.), ce qui souligne l’arbitraire des accusations initiales (4). Dans le même esprit, le rapport de Human Rights Watch 2025 rappelle que les tribunaux turcs ont continué d’ignorer ou de rejeter des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) favorables aux médias indépendants (1).

En résumé, la liberté de la presse et d’expression reste très entravée en Turquie début 2025. Les pouvoirs publics contrôlent l’essentiel des médias, ordonnent le blocage de sites Internet et multiplient les poursuites contre les journalistes critiques (1)(4). La quasi-absence de contre-pouvoir médiatique favorise l’autocensure, tandis que les réseaux sociaux – l’un des derniers espaces de liberté – sont eux aussi fortement surveillés et restreints, notamment via des blocages de contenus liés aux manifestations (6).

 

Traitement des journalistes

Le traitement des journalistes en Turquie au premier semestre 2025 est particulièrement alarmant. Les reporters couvrant les manifestations politiques ou critiquant le gouvernement font face à des accusations pénales et à des représailles. Parmi les cas marquants : sept journalistes ayant couvert les protestations consécutives à l’arrestation du maire d’Istanbul ont été poursuivis pour « participation non armée à une réunion illégale » (loi sur les manifestations) (7). Ces sept médias – de l’AFP à Now Haber en passant par la chaîne pro-HDP Tele 1 – avaient été brièvement incarcérés le 25 mars pour « créer la peur » et « violer la loi », avant de recouvrer la liberté sous condition deux jours plus tard (7). Les organisations de presse locales ont dénoncé ces poursuites comme un « moyen de pression pour faire taire » la couverture indépendante des événements (8)(9).

Par ailleurs, des journalistes étrangers ont été emprisonnés ou expulsés pour leur travail. Le correspondant de la BBC, Mark Lowen, présent pour couvrir les manifestations à Istanbul, a été arrêté à son hôtel le 26 mars et expulsé dès le lendemain au motif de « trouble à l’ordre public » (7). Le même jour, le journaliste suédois Joakim Medin (du journal Dagens ETC) a été détenu à son arrivée en Turquie pour couvrir les mobilisations. Il a ensuite été emprisonné pour « appartenance à une organisation terroriste armée » et « insulte au président » (7), des accusations très critiquées au niveau international. L’AFP a fermement demandé leur libération, et même la Commission européenne a souligné que « l’aspirant candidat à l’UE » Turquie devrait respecter la liberté de la presse (7)(10).

D’autres affaires traduisent le climat répressif : début février, trois journalistes d’investigation (Elif Akgül, Yıldız Tar et Ercüment Akdeniz) ont été emprisonnés depuis le 22 février dans le cadre d’une enquête sur le Congrès de la démocratie des peuples (HDK, lié au parti pro-kurde HDP) (9). Plusieurs autres reporters sont assignés à résidence ou poursuivis dans la même affaire, simplement pour avoir analysé l’agitation politique. Ces procédures pèsent sur la liberté d’informer et visent clairement à intimider les journalistes indépendants.

Enfin, le climat est d’autant plus lourd que les médias officiels qualifient régulièrement les journalistes critiques de « propagandistes terroristes ». À titre d’exemple, en mars 2025, les chaînes publiques ont diffusé des accusations non fondées contre des correspondants de grandes agences internationales. En parallèle, la baisse du nombre de médias indépendants (fermetures administratives, intimidations) confirme que la profession tout entière fonctionne désormais sous menace constante. Résultat : le journalisme d’investigation et la couverture critique sont de moins en moins possibles, ce qui constitue selon les ONG une entrave grave aux droits d’information de la population (9)(10).

 

Liberté de réunion et d’association

Les libertés de réunion et d’association ont été extrêmement restreintes dans les premiers mois de 2025. Face à la montée des protestations, les autorités ont décrété des interdictions générales de manifestations dans les grandes villes. Ainsi, un arrêté provincial du 19 mars interdit toute manifestation à Istanbul (déjà suspendues depuis le 19 mars) et des interdictions similaires ont été édictées à Ankara et Izmir autour du 21 mars (11). Un dispositif policier massif (barrages, contrôle des véhicules) a été mis en place pour empêcher les mobilisations de se constituer (11)(12)(13).

Ces interdictions concernent notamment les manifestations de soutien au maire d’Istanbul emprisonné, officiellement motivées par le « danger d’actions illégales », mais dénoncées comme un verrouillage de l’espace public. Malgré l’interdiction, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue en Turquie fin mars pour protester contre l’arrestation de l’édile d’opposition. La police a rapidement réagi par la force : déploiement de canons à eau, de gaz lacrymogène, de grenades fumigènes et de balles en caoutchouc (13). Le bilan officiel fait état de plus de 1 133 personnes arrêtées lors des manifestations (chiffre annoncé par le ministre de l’Intérieur) (13). Selon les autorités, les interpellés comprenaient des individus liés à des « organisations terroristes », confirmant l’utilisation du code pénal antiterroriste pour écraser la dissidence politique. En réalité, ces rassemblements restèrent dans leur majorité pacifiques, et les images montrent une violence policière massive : plusieurs manifestants (et journalistes couvrant l’événement) ont été blessés par des tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc (13)(11).

La répression s’est étendue aux organisations civiles. À titre d’exemple, le 26 mars les dirigeants du syndicat d’enseignants Eğitim-Sen ont été placés en résidence surveillée – et inculpés d’« incitation à commettre un crime » – pour avoir simplement organisé une journée de grève en solidarité avec les étudiants protestataires (11). Cet épouvantail judiciaire illustre la réduction drastique du droit de grève et de coalition syndicale : toute action de solidarité est assimilée à de la « provocation ».

Par ailleurs, le pouvoir a neutralisé plusieurs responsables politiques locaux : en février 2025, sept élus municipaux ont été arrêtés et deux maires démis de leurs fonctions au profit de préfets nommés par l’État (14). Cette opération, menée dans le cadre d’une enquête contre le Congrès de la démocratie des peuples (HDK), a notamment visé des cadres politiques de la gauche pro-kurde. Au total, 51 militants liés au HDK ont été interpellés (dont 30 placés en détention provisoire) dans cette affaire (14).

Ces mesures confirment une tendance lourde : les autorités turques pratiquent un contrôle judiciaire et administratif très strict sur les associations et partis politiques, en particulier ceux issus des minorités ou de l’opposition, violant ainsi le droit d’association et la représentation démocratique locale (14)(11).

En outre, des ONG et organisations de défense des droits de l’homme font aussi l’objet de pressions. Plusieurs dirigeants de l’İnsan Hakları Derneği (İHD) et de syndicats ont été condamnés à de longues peines de prison, souvent pour avoir évoqué la guerre au Kurdistan ou critiqué les pratiques sécuritaires (14). Par exemple, l’İHD rapporte que plusieurs de ses cadres ont été emprisonnés après des procès jugés « politiques ». Dans un contexte où le principe de l’État de droit est sérieusement ébranlé, même les organisations non gouvernementales peinent à fonctionner sans crainte de représailles.

 

Détentions arbitraires et emprisonnements politiques

Les premiers mois de 2025 ont vu se multiplier les détentions et emprisonnements à caractère politique. Le signal d’alarme a été donné fin mars, lorsqu’un tribunal d’Istanbul a placé en détention provisoire Ekrem İmamoğlu, maire de la ville et figure de l’opposition républicaine, sous prétexte d’accusations de corruption. Ce placement en détention (et sa suspension de fait de ses fonctions municipales) est interprété par de nombreux observateurs comme un acte politique majeur pour écarter de l’arène électorale un rival d’Erdogan (15)(16).

Cet événement a déclenché la plus importante vague d’arrestations politiques en Turquie depuis des années. Outre İmamoğlu lui-même, les forces de l’ordre ont arrêté 1 133 manifestants dans tout le pays en une semaine (17). Selon les autorités, certains détenus étaient liés à des groupes « terroristes », mais cette qualification a été jugée abusive par les organisations de défense des droits humains.

Parmi ces interpellations, on compte aussi plusieurs figures politiques et syndicales de l’opposition. Des cadres du Parti républicain du peuple (CHP), ainsi que des personnalités de la gauche kurde, ont été brièvement emprisonnés avant d’être libérés sous contrôle judiciaire. En parallèle, le gouvernement a intensifié les poursuites initiées dans le cadre de l’enquête HDK : en février-mars, une nouvelle série de gardes à vue a visé des opposants divers, souvent sous le motif de « financement du terrorisme » sur la base de leur participation à des réunions politiques ou syndicales.

Le bilan exact de tous ces procès et détentions n’est pas encore public, mais la répression judiciaire est considérée comme systématique et arbitraire par les ONG locales. Du côté des droits juridiques, les défauts de procédure abondent. De nombreux détenus politiques dénoncent l’absence d’enquête sérieuse sur les accusations portées contre eux, ainsi que l’intransparence des interrogatoires. Les tribunaux anti-terroristes, utilisés fréquemment contre les opposants, refusent souvent la levée de la détention provisoire, comme l’illustre le cas des sept journalistes mentionnés dans une section précédente.

Par ailleurs, la Turquie continue de faire fi des décisions contraires de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : à plusieurs reprises en 2024, la Cour avait ordonné la libération de prisonniers d’opinion, sans effet en 2025 (18). Le climat en prison reste lui aussi préoccupant : les dénonciations de conditions de détention inhumaines, de surpopulation chronique et de mauvais traitements subsistent. Certains prisonniers politiques ont même entamé des grèves de la faim pour protester contre le refus des autorités de répondre à leurs appels au dialogue. Tout cela contribue à faire des prisons turques – particulièrement les établissements pour prévenus terroristes – des lieux de violations massives des droits fondamentaux.

 

Droits des femmes

La situation des femmes en Turquie en 2025 reste marquée par de très graves violations, en dépit de la promulgation officielle de lois protectrices. Le retrait unilatéral de la Turquie de la Convention d’Istanbul (protection contre les violences sexistes, abandonnée fin 2021) continue d’alimenter l’impunité. Pour mémoire, le 8 mars 2025, l’Association pour les droits des femmes (Kadının İnsan Hakları Derneği – KİH) a déposé une plainte contre la Turquie auprès de la CEDH, dénonçant que ce retrait – réclamé sous pression des nationalistes et de groupes religieux conservateurs – a causé une flambée des attaques contre les femmes et la communauté LGBT (19).

Les chiffres recueillis par la presse indépendante illustrent l’ampleur du fléau. Bianet publie régulièrement les données de son décompte « Erkek Şiddeti » (violences masculines) mensuel. Selon ces rapports :

  • Janvier 2025 : au moins 28 femmes ont été tuées par des hommes, ainsi que 4 enfants (dont 1 garçon), généralement suite à une violence conjugale ou sexuelle. En outre, 39 femmes ont été agressées et 13 enfants (filles et garçons) abusés sexuellement (20)(21).
  • Février 2025 : au moins 17 femmes et 9 enfants ont été tués par des hommes. Le nombre de femmes agressées atteint 51, tandis que 5 enfants ont subi des abus sexuels et 8 femmes ont été victimes de harcèlement (22).
  • Mars 2025 : 24 femmes et 10 enfants (de 4 à 11 ans) ont été tués par des hommes. Au cours de ce mois, 59 cas de violences physiques contre des femmes et 15 abus sexuels sur des enfants (incluant des garçons) ont été recensés (23).
  • Avril 2025 : au moins 36 femmes et 2 enfants ont perdu la vie sous les coups de partenaires ou proches. Parmi eux, plusieurs mineurs (notamment des garçons) ont aussi été agressés ou tués sexuellement (24).

Ces statistiques révèlent qu’en quatre mois, près de 105 femmes et 25 enfants ont été tués par la violence masculine en Turquie. Ces meurtriers, majoritairement connus des victimes (époux, ex-conjoints, parents ou voisins), bénéficient souvent de « circonstances atténuantes » en justice. Les affaires de féminicide sont tristement banalisées : les tribunaux n’hésitent pas à accorder des aménagements de peine, voire des acquittements, au prétexte que la « passion » ou l’« honneur » serait en jeu (27).

En outre, la pénalisation récente de l’adultère (réintroduite en 2024) fait craindre une aggravation de l’impunité, car l’adultère a été évoqué comme circonstance atténuante dans plusieurs procès de féminicide.

Outre l’extrême violence meurtrière, d’autres violations concernent la liberté et la dignité des femmes. Des militantes et journalistes féministes subissent des poursuites pour délit d’insulte ou de “propagande terroriste” lorsqu’elles dénoncent l’épidémie de harcèlement de rue et d’agressions sexuelles (parfois attribués par l’État à des groupes terroristes afin de détourner le débat).

Les campagnes contre les mutilations génitales féminines et le mariage précoce, de plus en plus médiatisées dans la société civile, ne sont pas officiellement soutenues par le gouvernement, qui reste silencieux sur ces questions.

Par ailleurs, le climat islamo-conservateur au pouvoir implique un discours public dénonçant la contraception ou la liberté vestimentaire féminine, ce qui érode la laïcité sociale et crée un environnement hostile aux droits reproductifs (26).

En résumé, les droits des femmes en Turquie sont quotidiennement menacés. Le retrait de la Convention d’Istanbul, combiné à l’absence d’enquêtes efficaces sur les crimes sexistes, a contribué à ce qu’une femme soit tuée tous les deux ou trois jours en 2025 selon les militants de la société civile (25). Les autorités montrent peu de volonté politique pour changer la donne ; au contraire, des lois répressives comme l’interdiction de l’avortement qui a circulé en mars 2025 (projet avorté après protestations) illustrent la dangereuse dérive conservatrice (28).

Les observateurs locaux concluent qu’« on tue les femmes en toute impunité » en Turquie, et dénoncent le manque criant de protection étatique des plus vulnérables.

 

Droits des enfants

La situation des enfants en Turquie entre janvier et mai 2025 est alarmante, tant sur le plan de la sécurité que des libertés fondamentales. Sur le plan de la sécurité, les bilans mensuels des violences dites « masculines » (voir section précédente) font apparaître que 25 enfants au moins ont été tués au premier trimestre 2025 par des adultes, dans la plupart des cas leur propre père ou un proche (29)(30).

Ces drames incluent des garçons et des filles, âgés parfois de 4 ou 6 ans, souvent retrouvés assassinés à coups d’arme blanche ou noyés.

En outre, de nombreux mineurs ont été victimes d’abus sexuels ou de brutalités (par exemple, 5 enfants abusés en février et 15 en mars selon Bianet) (31)(32). Ces chiffres reflètent le profond manque de protection de l’enfance : les autorités ne paraissent pas enclines à mener des enquêtes indépendantes contre les auteurs de ces violences, et les peines prononcées restent dérisoires.

Au-delà de la violence intrafamiliale, les enfants turcs subissent d’autres formes de privations de droits. Le retour sporadique de la pandémie de Covid-19 dans l’hiver 2024-2025 n’a pas entraîné de mesures sanitaires spécifiques pour les écoles, mais beaucoup d’établissements sont encore mal équipés en matériel et en personnel.

Le budget de l’État consacre peu de ressources à l’éducation publique (même si le rapport de 2025 de Freedom House relève un effort budgétaire global, la répartition reste insuffisante), et certains enfants issus de familles pauvres désertent les bancs de l’école pour travailler. Le nombre d’enfants au travail, à la rue ou dans des ateliers clandestins, se maintient à un niveau élevé, car le gouvernement ne mène aucune campagne de lutte contre le travail infantile.

Sur le plan juridique, les limites d’âge pénal basses (14 ans) permettent d’envoyer des adolescents au tribunal comme des adultes, sans que le système judiciaire soit adapté aux mineurs.

Les droits culturels et linguistiques des enfants kurdes ont aussi été restreints. Bien que la loi permette théoriquement l’apprentissage du kurde dans les écoles primaires, la mise en œuvre reste dérisoire. Début 2025, seule une poignée d’écoles proposent des cours maternels en kurde, faute de volontaires ou d’infrastructures. Les autorités multiplient les discours hostiles au multilinguisme, maintenant un climat hostile à l’éducation dans la langue minoritaire.

De même, les enfants roms ou alévis continuent de subir marginalisation et discrimination dans les milieux scolaires et dans l’accès aux services de santé, sans protection étatique spécifique.

Enfin, l’accueil des enfants migrants (réfugiés) n’est pas à la hauteur. La Turquie abrite plus de 3,5 millions de migrants, en majorité syriens, dont beaucoup d’enfants vivent dans des conditions précaires. Les ONG dénoncent des carences dans les services de santé mentale, notamment pour ceux ayant fui des zones de guerre. Le système scolaire n’absorbe qu’une partie de ces enfants : beaucoup ne vont pas à l’école ou sont intégrés dans des classes mal encadrées. Bien que la Turquie ait signé la Convention relative aux droits de l’enfant, les structures de mise en œuvre sont insuffisantes.

En somme, les droits des enfants (sécurité physique, accès à l’éducation, protection judiciaire) sont violemment fragilisés en Turquie au premier semestre 2025. Les chiffres de la violence familiale font état d’une véritable épidémie meurtrière sur les mineurs (33)(34), et d’autres droits fondamentaux restent négligés par les pouvoirs publics. Les organisations de défense de l’enfance interpellent les autorités sur la nécessité d’une politique sociale ambitieuse, sans résultats tangibles jusqu’ici.

 

Droits des minorités et populations vulnérables

Les droits des minorités ethniques, religieuses et sociales sont eux aussi largement bafoués en Turquie. L’exemple le plus frappant concerne les populations kurdes des provinces de l’est : les maires et représentants politiques kurdes (appartenant au HDP) ont été massivement visés par des procédures d’urgence. Début 2025, deux municipalités contrôlées par des opposants ont perdu leur maire après des accusations de « lien avec le terrorisme » (35). Le pouvoir a alors nommé des « administrateurs spéciaux » (kayyum) à leur place, ce qui revient à priver des milliers d’électeurs de leur choix démocratique. Ce précédent confirme que la Turquie poursuit sa politique de gouvernance par suppressions de mandat et mise sous tutelle des populations kurdes, en contradiction flagrante avec les libertés locales.

Par ailleurs, la Turquie compte plusieurs minorités religieuses (alaouites, chrétiens, araméens, yézidis, etc.) et ethniques (Grecs, Arméniens, Juifs) qui signalent d’incessantes discriminations. Leur droit à l’association est restreint : par exemple, les écoles confessionnelles de minorités chrétiennes subissent des tracasseries administratives, et quelques édits municipaux ont tenté de limiter le port de symboles religieux non musulmans. Aucune amélioration n’a été observée pour ces communautés : leur situation reste bloquée par un nationalisme ambiant qui les considère souvent comme suspectes ou étrangères.

Les minorités sexuelles (LGBT+) ont également fait l’objet d’attaques symboliques et législatives. Sous prétexte de protéger la « famille traditionnelle », le gouvernement a lancé fin février 2025 un projet de loi très répressif à l’encontre des personnes LGBT (36). Ce projet prévoit notamment d’introduire la notion de « sexe biologique » dans le code pénal et de restreindre drastiquement les procédures de changement de genre, ajoutant des conditions médicales coercitives, voire un parcours administratif humiliant. Il criminaliserait même les cérémonies symboliques de mariage homosexuel. En clair, un transidentitaire turc serait désormais obligé de prouver sa stérilisation et de suivre un parcours médical imposé pour être reconnu dans sa nouvelle identité. Cette logique déshumanisante a été vivement dénoncée par les associations LGBT et internationales.

Elle s’inscrit dans le climat de « 2025 : Année de la famille » prôné par le régime, qui associe en fait droits LGBT et « propagande étrangère ». Des violences de rue traduisent aussi l’intolérance croissante contre les minorités sexuelles. À Istanbul et Ankara, les événements publics LGBT (marches des fiertés symboliques, meetings culturels) ont été systématiquement interdits ou attaqués en 2025. Des groupes nationalistes ont agressé publiquement des participants à de telles manifestations, encouragés tacitement par l’absence de sanction policière (37)(38).

Cette situation confirme l’analyse de la société civile : la Turquie connaît « un recul sans précédent pour les droits LGBT+ ».

Enfin, parmi les autres groupes vulnérables, les Roms et les personnes en situation de handicap continuent de subir négligence et stigmatisation. Les Roms, par exemple, sont souvent arrêtés pour mendicité ou violences mineures, tandis que les autorités clôturent des camps d’aide pour eux. Les enfants handicapés scolarisés ont peu de soutien éducatif adapté, malgré des textes de loi existants. Les ONG signalent également des discriminations à l’encontre des migrants et demandeurs d’asile (hors réfugiés syriens). Par exemple, des communautés iraniennes de Kurdes et d’Ahmadis affirment être persécutées par les autorités locales, qui les expulsent et confisquent leurs biens sans procès.

En définitive, qu’il s’agisse de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, les droits collectifs et individuels sont gravement menacés. L’État favorise l’homogénéité nationale et la vision majoritaire de la société, attaquant systématiquement les identités dissidentes. De nombreux observateurs ont conclu qu’« aucune minorité n’est à l’abri » en Turquie, du fait du refus persistant de l’appareil d’État de reconnaître la pluralité. Les pressions vont du harcèlement verbal aux arrestations judiciaires, et s’inscrivent dans une politique claire d’uniformisation culturelle et politique.

 

Le processus de paix entre la Turquie et le PKK en 2025

Après quatre décennies de conflit ayant causé plus de 40 000 morts, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé, le 1er mars 2025, un cessez-le-feu unilatéral en réponse à l’appel de son fondateur emprisonné, Abdullah Öcalan, en faveur de la paix et d’une société démocratique (39). Le comité exécutif du PKK, basé dans le nord de l’Irak, a déclaré qu’aucune action armée ne serait entreprise à moins d’être attaqué, marquant ainsi une étape significative vers la fin des hostilités (39).

Cette décision a été précédée de quatre mois de dialogue entre les autorités turques et le principal parti pro-kurde, le DEM. Öcalan, depuis sa prison sur l’île d’Imrali, a exhorté le PKK à déposer les armes et à se dissoudre, affirmant que l’époque de la lutte armée était révolue et qu’il assumait la responsabilité historique de cet appel (39).

Le 12 mai 2025, le PKK a officiellement annoncé sa décision de se désarmer et de se dissoudre, considérant avoir accompli sa mission historique en ouvrant la voie à une résolution politique de la question kurde (40). Cette annonce a été saluée par le président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui a souligné son importance pour la sécurité nationale et la paix régionale, tout en affirmant que le processus serait étroitement surveillé pour éviter tout revers (40).

Malgré ces avancées, des incertitudes subsistent quant à l’application de cette décision aux groupes affiliés au PKK, notamment les Forces démocratiques syriennes et les Unités de protection du peuple, qui n’ont pas encore accepté de se désarmer. Le gouvernement turc insiste sur le fait que le désarmement doit inclure toutes les branches affiliées au PKK (40).

Par ailleurs, le Conseil de sécurité nationale turc a déclaré qu’il surveillerait de près le désarmement et la dissolution du PKK et de ses affiliés, soulignant que l’objectif d’une Turquie sans terrorisme renforcerait davantage l’unité et la solidarité nationales (41).

Ce processus de paix représente une opportunité historique pour mettre fin à un conflit long et sanglant. Cependant, sa réussite dépendra de la mise en œuvre effective des engagements pris, de la résolution des questions en suspens concernant les groupes affiliés, et de la volonté politique des différentes parties prenantes.

 

Racisme

Le racisme en Turquie en 2025 continue d’alimenter de fortes tensions sociales et politiques. Bien que la Constitution turque garantisse l’égalité entre les citoyens sans distinction d’origine, de nombreux rapports dénoncent des pratiques discriminatoires systémiques, ainsi qu’un discours public de plus en plus agressif à l’égard de certaines minorités ethniques, religieuses ou migrantes.

En premier lieu, la xénophobie à l’égard des réfugiés syriens et des migrants afghans ou africains s’est intensifiée depuis le début de l’année. De nombreux épisodes de violences racistes ont été signalés, notamment des attaques contre des commerces tenus par des Syriens à Ankara, Konya et Istanbul (42). Des appels à l’expulsion de masse sont régulièrement relayés sur les réseaux sociaux par des figures de l’extrême droite, et certains élus locaux ont publiquement exigé le retour forcé des réfugiés dans leur pays d’origine, au mépris du droit international.

Parallèlement, les Kurdes continuent d’être stigmatisés dans les médias pro-gouvernementaux et dans les discours officiels qui les associent systématiquement au terrorisme. En janvier 2025, plusieurs maires kurdes élus ont été démis de leurs fonctions par décret pour « propagande séparatiste », sans décision judiciaire préalable. Les festivités de Newroz ont à nouveau été fortement encadrées par la police, et des arrestations massives ont eu lieu, souvent suivies de mises en détention prolongée sans preuve concrète (43)(44).

Les Arméniens, Juifs et Grecs de Turquie, bien que peu nombreux, sont encore victimes d’hostilité symbolique. Le discours de haine en ligne, notamment les théories du complot associant ces groupes aux « ennemis de la nation », se propage sans sanction. En avril 2025, une synagogue d’Istanbul a été la cible d’un acte de vandalisme, et des graffitis antisémites ont été découverts sur un cimetière arménien à Van (45).

Les Roms sont quant à eux les victimes d’un racisme social enraciné. Dans plusieurs provinces (notamment dans l’ouest), les familles roms se voient refuser l’accès à des logements locatifs ou à des emplois municipaux. Des discriminations à l’école persistent : des enfants roms sont placés dans des classes séparées, sous prétexte d’« adaptation linguistique » (46).

En mai 2025, Human Rights Watch et plusieurs ONG locales ont dénoncé la diffusion d’une circulaire administrative qui permet aux préfets de restreindre les déplacements de certaines populations considérées comme « problématiques », sans contrôle judiciaire. Cette mesure, bien que non explicitement raciale, cible en réalité des quartiers à majorité rom ou kurde, renforçant les accusations de discrimination structurelle (47).

Enfin, la montée du racisme est aggravée par l’absence de législation antidiscrimination efficace. Bien que la Turquie ait signé plusieurs traités internationaux, aucune loi spécifique ne protège contre le racisme systémique ou les discours de haine. Les rares plaintes pour incitation à la haine raciale sont classées sans suite, sauf si elles visent des opposants politiques. De nombreuses associations, dont l’Association des droits de l’homme (IHD), dénoncent un deux poids, deux mesures dans l’application du droit.

 

Conclusion

En 2025, la situation des droits humains en Turquie demeure profondément préoccupante. Si certains cadres législatifs existent encore sur le papier, leur application est largement compromise par une gouvernance autoritaire, une instrumentalisation de la justice et un climat politique de plus en plus répressif.

Les minorités ethniques, religieuses et sexuelles subissent des politiques d’exclusion systématique, tandis que les droits des femmes et des enfants sont quotidiennement bafoués dans l’indifférence ou la complaisance des institutions. La violence genrée, en particulier, prend des proportions dramatiques, avec une fréquence élevée de féminicides et d’agressions contre les mineurs. Les populations kurdes, LGBT+, roms, alévies, réfugiées ou handicapées sont marginalisées, souvent privées de protections fondamentales et exposées à la stigmatisation publique.

Par ailleurs, la fragilité de l’État de droit, illustrée par la politisation de la justice, la criminalisation de la dissidence, les restrictions des libertés d’expression, de presse et d’association, mine gravement les possibilités de défense des droits fondamentaux. Les médias indépendants, ONG, syndicats et avocats font l’objet d’une surveillance constante et d’un harcèlement judiciaire.

Malgré les alertes répétées des organisations locales et internationales, le gouvernement turc poursuit une politique d’homogénéisation culturelle et idéologique, au mépris des principes démocratiques les plus élémentaires. En l’absence de réformes structurelles profondes, la Turquie s’éloigne de plus en plus des standards internationaux des droits humains.

Il revient à la communauté internationale, aux institutions européennes, aux ONG et aux citoyens eux-mêmes de maintenir la pression, de documenter les abus et de soutenir les voix dissidentes. Car aujourd’hui, aucune minorité n’est à l’abri, et les principes d’égalité, de liberté et de dignité humaine sont en péril.

 

Références :

Human Rights Watch. Rapport mondial 2025 – Turquie.

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