Introduction
Le side-event organisé le 29 novembre 2024 lors du Forum des Minorités a porté sur le thème de la représentation et de l’auto-représentation des minorités en Iran, en Irak, et en Syrie dans les espaces publics et les discours. Cet événement, organisé par le Centre Zagros pour les Droits de l’Homme, en collaboration avec Kurdish-Swiss Alliance, l’Organisation HANA pour les Droits de l’Homme, Solidarité Internationale pour la Paix, Alliance for Minority Rights, Association Culturel Kurde, visait à mettre en lumière les défis uniques auxquels sont confrontées les minorités dans ces trois pays. La discussion a permis de soulever les questions de marginalisation sociale, culturelle et politique, en abordant la manière dont ces défis se manifestent différemment en Iran, en Irak, et en Syrie.
Contexte et Objectifs
Les participants au side-event ont souligné les obstacles auxquels font face les minorités en termes de représentation publique et d’auto-représentation. Ces obstacles sont accentués par des barrières légales, sociales et culturelles persistantes qui limitent la capacité des minorités à participer pleinement aux institutions publiques, aux médias et aux processus décisionnels. L’absence de plateformes robustes pour la représentation des minorités aggrave la marginalisation de ces communautés et restreint leur accès aux droits, ressources, et reconnaissance.
Les objectifs de ce side-event étaient triples :
- Sensibiliser aux formes spécifiques de marginalisation des minorités en Iran, Irak, et Syrie.
- Favoriser l’échange d’expériences entre les représentants des minorités, les défenseurs des droits de l’homme et les parties prenantes internationales.
- Développer des recommandations de réforme politique et sociale visant à améliorer la visibilité, l’inclusion et la participation des communautés minoritaires.
Interventions des Orateurs
Mme Viyan Sido a parlé de la situation à Afrin, une région du nord-ouest de la Syrie autrefois connue pour sa diversité culturelle et la coexistence pacifique de divers groupes ethniques et religieux. Elle a décrit les conséquences de l’offensive militaire turque de 2018, qui a entraîné le déplacement de milliers de familles kurdes et la confiscation de leurs terres et de leurs oliveraies, une source vitale pour l’économie locale. Elle a souligné que la langue kurde, un élément fondamental de l’identité culturelle de la région, est désormais réprimée, les habitants étant contraints de parler turc et les écoles kurdes fermées. Mme Sido a également évoqué la construction de nouvelles mosquées dans des zones historiquement habitées par des minorités religieuses, telles que les Yézidis, et le déplacement de ces communautés, ce qui est perçu comme une tentative de transformation de l’identité démographique et culturelle de la région.
M. Atou Salo, représentant de la communauté yézidie en Irak, a exprimé des préoccupations concernant les graves injustices subies par les Yézidis, notamment lors du génocide de 2014, qui a attiré l’attention de la communauté internationale. M. Salo a rappelé que les Yézidis sont à la fois une minorité religieuse et nationale, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux violences et discriminations. Il a évoqué les multiples attaques subies par les Yézidis à travers l’histoire, et le manque de soutien de la part des autorités kurdes et irakiennes pour protéger leur communauté. M. Salo a déploré le discours de haine persistant et la passivité des autorités kurdes face aux attaques contre les Yézidis, tout en appelant à une meilleure protection de leurs droits et à la reconnaissance de leur souffrance.
M. Abdulrahman Heidari, représentant du Mouvement Patriotique Arabe, a évoqué la lutte pour l’autodétermination du peuple arabe Ahwazi en Iran. Il a abordé la marginalisation persistante des nations non-persanes, en soulignant que ces nations ne se considèrent pas comme des « minorités » mais plutôt comme des « nations » à part entière, refusant le concept de domination persane. M. Heidari a rappelé l’importance de l’article 15 de la Constitution iranienne, qui prévoit l’utilisation des langues régionales dans la presse, les médias, et l’éducation, mais qui reste en grande partie non appliqué. Selon lui, la marginalisation des Arabes Ahwazis ne se limite pas à la suppression de leur culture et langue, mais s’étend à une discrimination systémique dans l’accès à l’emploi, aux ressources économiques et aux positions politiques. M. Heidari a également décrit la façon dont les autorités iraniennes manipulent les médias locaux pour diffuser des informations biaisées et renforcer les stéréotypes négatifs sur les Arabes, limitant ainsi leur représentation dans l’espace public.
M. Adel Mahmoudi a abordé la question de la représentation des Kurdes en Iran, soulignant que malgré les dispositions constitutionnelles visant à protéger leurs droits culturels et linguistiques, la réalité est tout autre. Les Kurdes sont souvent privés de la possibilité de recevoir une éducation dans leur langue maternelle, et les initiatives visant à promouvoir la culture kurde sont régulièrement supprimées. L’article 19 de la Constitution iranienne, qui déclare que tous les citoyens sont égaux, est également largement ignoré lorsqu’il s’agit des droits des Kurdes. M. Mahmoudi a parlé de la marginalisation politique des Kurdes, citant des exécutions et des emprisonnements arbitraires d’activistes kurdes, souvent jugés lors de procès inéquitables. Il a souligné que les porteurs kurdes, qui traversent les frontières pour survivre, sont régulièrement abattus par les forces de sécurité iraniennes.
Mme Sabah Bandoui a présenté un aperçu de la situation des Baloutches en Iran, qui subissent une oppression systématique. Elle a mis en lumière les défis économiques auxquels est confrontée la région du Baloutchistan, malgré ses richesses naturelles en pétrole, minéraux et autres ressources. La majorité des Baloutches vit dans une pauvreté extrême, avec un accès limité à l’eau potable et un taux de chômage très élevé. L’accès à l’éducation est également un défi majeur, avec un taux d’abandon scolaire élevé, principalement en raison de l’absence de services publics adéquats et de la difficulté d’obtenir des documents d’identité, qui sont souvent requis pour l’inscription scolaire. Mme Bandoui a également mentionné les exécutions arbitraires, qui affectent de manière disproportionnée les Kurdes et les Baloutches, soulignant ainsi la politique discriminatoire des autorités iraniennes à l’encontre de ces minorités.
Mme Roudy Ali, kurde originaire d’Afrin et vivant actuellement en Allemagne, a mis en lumière la répression systématique des droits des minorités en Syrie, avec un accent particulier sur la communauté kurde. Elle a évoqué l’opération « Rameau d’olivier », menée par l’armée turque en 2018, qui a marqué le début de graves violations des droits humains à Afrin, une région historiquement kurde. La langue kurde a été supprimée du système éducatif et remplacée par des programmes en turc et en arabe, les noms de villages et de rues ont été changés, et les habitants kurdes ont été largement déplacés. Mme Ali a également dénoncé les abus contre les femmes, ainsi que la destruction massive des oliviers, qui étaient une source de subsistance essentielle pour les agriculteurs kurdes. Elle a appelé la communauté internationale à enquêter sur ces crimes et à faire pression sur la Turquie pour qu’elle cesse ses opérations militaires.
Mme Awat Taeib a parlé des défis auxquels est confrontée la communauté assyrienne au Kurdistan, en mettant l’accent sur l’importance de la liberté religieuse. Elle a rappelé que la communauté assyrienne, une des plus anciennes du Moyen-Orient, a souvent été marginalisée et a dû cacher son identité religieuse par crainte de représailles. Elle a mentionné la loi n° 5 de 2015, qui a permis une certaine reconnaissance de la liberté religieuse au Kurdistan, et a également évoqué les menaces constantes contre les Assyriens, telles que la destruction de temples et de monuments historiques vieux de milliers d’années. Mme Taeib a souligné la nécessité de protéger le patrimoine culturel et religieux des Assyriens, ainsi que de garantir un espace sûr pour leur communauté.
M. Mansour Seifi a abordé la situation des Azerbaïdjanais en Iran, mettant en lumière les injustices et les discriminations auxquelles cette communauté est confrontée. Il a expliqué que les médias imprimés et audiovisuels en Iran sont contrôlés par l’État, limitant ainsi la représentation des intérêts des nations non-persanes, dont les Azerbaïdjanais. Selon M. Seifi, la politique d’assimilation menée par la République islamique vise à éradiquer la présence culturelle azerbaïdjanaise dans l’espace public, en imposant la langue persane comme la seule langue officielle. Il a donné des exemples concrets, tels que le changement des noms de rues d’origine turque en noms persans, la destruction de monuments historiques, et la suppression des symboles culturels azerbaïdjanais du système éducatif. Cette politique d’assimilation, combinée à l’absence de représentation dans les médias et les institutions, contribue à marginaliser davantage la communauté azerbaïdjanaise.
Recommandations
Les discussions ont permis d’aboutir à plusieurs recommandations importantes visant à promouvoir les droits des minorités dans les pays concernés :
- Renforcer la Reconnaissance des Droits Linguistiques et Culturels
Il est essentiel de garantir la reconnaissance et la protection des droits linguistiques et culturels des minorités en Iran, en Irak, et en Syrie. Les intervenants ont appelé à l’application effective des articles des constitutions qui garantissent l’utilisation des langues régionales dans les médias, l’éducation, et les affaires publiques. - Égalité d’Accès à l’Éducation et aux Ressources
Les intervenants ont insisté sur la nécessité de garantir l’égalité d’accès à l’éducation pour les enfants issus de minorités. Des efforts doivent être faits pour améliorer les infrastructures éducatives dans les régions marginalisées, en particulier en fournissant des écoles où les enfants peuvent apprendre dans leur langue maternelle. En outre, des ressources équitables doivent être allouées pour réduire la pauvreté systématique qui touche des communautés telles que les Baloutches. - Protection des Droits Civils et Politiques
Pour protéger les droits civils et politiques des minorités, il est crucial de mettre fin aux arrestations arbitraires, aux disparitions forcées et à la répression des activistes minoritaires. Les autorités doivent garantir des procès équitables et transparents pour tous les citoyens, quel que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, et permettre une participation politique inclusive. - Lutte Contre la Politique d’Assimilation et de Modification Démographique
Les participants ont dénoncé la politique d’assimilation forcée pratiquée dans des régions telles qu’Afrin, où les langues et identités locales sont effacées au profit de celles imposées par les forces occupantes. Ils ont recommandé la cessation des pratiques visant à altérer la composition démographique des régions historiquement habitées par des minorités, notamment le déplacement forcé des populations locales et leur remplacement par des colons. - Engagement de la Communauté Internationale
Les intervenants ont également souligné l’importance de l’engagement de la communauté internationale pour demander des comptes aux gouvernements qui pratiquent des politiques discriminatoires. Ils ont demandé une pression internationale accrue sur l’Iran, l’Irak, et la Turquie pour qu’ils respectent les droits des minorités et cessent les violations des droits de l’homme. Des enquêtes indépendantes doivent être menées pour documenter les crimes commis contre les minorités et garantir que les responsables soient traduits en justice. - Renforcement de la Liberté Religieuse
La liberté religieuse doit être garantie pour toutes les communautés, notamment les Assyriens, les Yézidis, et les autres minorités religieuses vivant en Irak, en Iran, et en Syrie. Les intervenants ont demandé la protection des lieux de culte et des sites historiques, ainsi que la reconnaissance officielle de la liberté de pratiquer sa religion sans crainte de persécution.
Conclusion
Ce side-event a permis de rassembler des voix importantes de diverses communautés minoritaires en Iran, en Irak, et en Syrie, créant un espace de discussion et de collaboration. Les contributions des intervenants ont souligné la nécessité d’une action concertée pour protéger les droits des minorités, et ont permis de formuler des recommandations concrètes pour promouvoir leur représentation et auto-représentation. Ces recommandations seront présentées au Forum des Minorités pour enrichir les propositions qui seront faites au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en 2025.
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